L’enseigneur de Jean-Pierre Dopagne / par le Théâtre de la Passerelle

Assise à son pupitre avec, à ses pieds, un vieux cartable
déformé par des tombereaux de copies à corriger, elle semble
épuisée. Son père, paysan, lui avait dit : « Toi, tu seras
professeur. Le plus beau métier du monde. Comme la terre, il
fait germer ». Elle y avait cru, elle était devenue prof de lettres,
avec l’ambition chevillée à l’âme de conduire ses élèves
au-delà des frontières de leur quotidien, grâce à la littérature,
à l’émancipation de la pensée et à l’éveil de l’esprit critique.
« Les élèves sont comme les animaux, dit-elle pourtant, usée
par trop d’enthousiasme déçu. Ils agissent non par intelligence,
mais par instinct ! »

Seule sur scène, cette « enseigneuse
 » parle de ses douleurs tues, de l’indifférence de ses
collègues, de la méfiance de la hiérarchie et de l’hostilité des
jeunes. Passionnée de théâtre, elle les mime tous, avec cette
précision féroce que donne la colère : ses élèves doués et
les autres, les violents et les crétins, la coquette, le caïd et le
boute-en-train, sans oublier le proviseur et ses pathétiques
collègues, du dépressif au cynique, en passant par l’aigri et
le roublard. Brisée par la violence du milieu scolaire qui est
le reflet de notre société déchirée, cette idéaliste a refusé de
se résigner, jusqu’à commettre l’irréparable… Extraordinaire
de justesse, la comédienne restitue toute la force de ce
monologue qui secoue nos certitudes et qui, bien plus
qu’une diatribe anti-école, s’impose comme un vibrant appel
pour une société plus humaine.